Je vais vous parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître... Eux qui écrivent encore (et pour combien de temps ?) avec stylos et crayons à bille ignorent à tout jamais l'époque de l'encre et de la plume "gauloise" ou "sergent-major".
Sur nos tables d'école un trou était percé pour recevoir un encrier en faïence dans lequel nous trempions avec précaution notre plume bien fixée dans nos porte-plume pour pouvoir écrire à l'encre. Tout au début de nos scolarités nous n'avions pas droit à cette encre : nous étions limités au crayon de papier évitant ainsi les "pâtés" regrettables. Ces tous premiers débuts relevaient du tracé des bâtons droits et inclinés. Comme ce temps est lointain ! L'usage de la plume et de l'encre constituait un degré dans la scolarité traduisant la marche ascendante vers le savoir.
Si en ville les encriers étaient remplis d'encre de grandes marques, genre Watertman ou Pélikan, dans nos écoles de village, il appartenait au "maître d'école" de fabriquer en local, avec les moyens du bord, l'encre de couleur violette. La matière première était le fruit du sureau, toujours présent naturellement dans nos campagnes. Il y avait d'abord la récolte des grappes de sureau, ce qui faisait l'objet d'une sortie en plein air. Les boules gorgées d'un liquide violet étaient écrasées dans un récipient. Le jus obtenu était filtré puis mis en bouteilles. La réserve d'encre pour l'année scolaire était mise à l'abri dans le bas d'un placard. La fabrication de l'encre, tout comme le remplissage des encriers demandait beaucoup de précautions pour éviter les taches. Et en ce temps-là, les élèves participaient aussi à l'élaboration du précieux liquide sous la direction de Monsieur l'instituteur. Les chefs de familles avaient droit aussi gratuitement à une livraison d'encre pour leurs besoins privés.
Nous avons évoqué les plumes "gauloise" ou "sergent-major" pour l'écriture courante, mais il y avait aussi les plumes "ronde" et "batarde" pour un style d'écriture spécifique qui demandait un certain talent. Mais le "maître d'école"n'hésitait jamais au cours de l'année scolaire à faire un retour en arrière en invitant son monde à renouer à la "plume d'oie". La fourniture de cet article était gratuite. Il suffisait d'aller à la Banvoire (aujourd'hui rue de la Prairie). La famille VILLEMAN avait la spécialité d'élever là de nombreuses oies et les volatiles avec leurs cris aigus, la criaille ou la cacarde, évoluaient dans ce quartier en laissant au sol de nombreuses et belles plumes qui pouvaient facilement servir à l'écriture. N'oublions pas que d'audacieux élèves n'hésitaient pas à capturer une grosse bestiole au plumage abondant pour avoir une meilleure récolte. Tout cela se déroulait dans une ambiance joyeuse et bruyante tant des élèves que des oies. Le retour en classe était suivi bien logiquement d'un exercice d'écriture à la plume d'oie qui ravissait tout son monde.
Ce petit retour dans le passé en étonnera plus d'un. Je pense qu'il était grand temps que l'on vous parle DE L'ENCRE ET... DES PLUMES.
Jean SPAITE Avril 2014
Crédits photographiques : Les deux photos de plumes sont l'oeuvre de Lessay Catus et illustrent l'article Sur l'écriture à la plume sur le site Wikipedia.
1 De DOIZENET -
Pour information, la famille Villeman n'a jamais élevé d'oie !
2 De Jean SPAITE -
Réponse pour Mr DOIZENET (Alain, Philippe ou André ?)
Les oies de la Banvoire ont cessé d'exister après le décès d'Alphonse VILLEMAN en 1960. Son épouse Paule décédée en 1990 a peut-être gardé ensuite quelques oies pendant un ou deux ans.
Je confirme que dans les années 1930-1940 je suis allé personnellement ramasser des plumes d'oies à la Banvoire du troupeau d'Alphonse VILLEMAN. Madame Jeanine CARMENTRE née VOINOT pourrait également en témoigner.
Jean SPAITE