L'électricité dans notre village

Isolateur électrique FréménilIl existe encore des vestiges des premiers pas de l'électricité dans notre village. Datant de l'époque du courant continu 110 volts, nous découvrons encore des isolateurs datant de cette époque. Sur le pignon du local communal, que les anciens nommaient "la salle des pompes", sous entendu des pompes à incendie, il subsiste deux isolateurs scellés dans la maçonnerie : l'un est en porcelaine, de couleur blanche, l'autre est en verre, de couleur verte. Le premier supportait le fil "la phase", cependant que l'autre supportait le fil "le neutre". Voici donc des vestiges qui illustrent le récit qui va suivre : "L'arrivée de l'électricité dans notre village".

Jean Spaite    Juin 2013

"... et la lumière fut ..."  (Genèse)

ARRIVEE DE L'ELECTRICITE DANS LA VALLEE DE LA VEZOUZE

Avant-propos.

La lumière du jour a rythmé les journées de l'homme. L'alternance de la nuit engendrait pour lui un sentiment de crainte: l'être humain n'aime pas le noir de la nuit. La réaction première après la découverte du feu fut logiquement de se chauffer, de faire cuire les aliments, mais aussi de servir du feu pour éclairer la période nocturne. La lumière, c'est aussi une garantie de sécurité. De nos jours, tout est facile: pour éclairer la nuit, on allume la lampe en manœuvrant un interrupteur ! Et ce geste si simple, devenu une banalité, a été une révélation au début du XX° siècle pour nos grands-parents qui, comme leurs ancêtres, avaient été confrontés à ce problème: éclairer la nuit.

Qu'en était-il avant l'arrivée de l'électricité ?

Moyen de chauffage, mais aussi d'éclairage, fut la CHEMINÉE. Réunis autour de l'âtre, près des chenets supportant les bûches en train de brûler, nos ancêtres se chauffaient tout en profitant de la lumière de la flamme. Veillée au coin du feu, salon où l'on cause, mais aussi salon où l'on travaille puisqu'on en profitait pour faire des paniers pour les hommes et filer de la laine pour les femmes... Nous faut-il évoquer l'évangile pour rappeler des vierges sages et des vierges folles, ces dernières ayant négligé d'approvisionner leurs LAMPES A HUILE qui se sont éteintes? Ainsi, la lampe à huile remonterait à des dates fort lointaines et, à la faveur de fouilles archéologiques, on en découvre encore aujourd'hui.

La lampe à huile va éclairer le monde pendant des siècles.

Pendant longtemps, la source d'éclairage a été la BOUGIE, connue depuis le XIV° siècle, chandelle de cire puis de stéarine entourant une mèche tressée. L'allumage de la mèche entraînait la fonte de la cire qui constituait le combustible permettant d'alimenter la flamme, source de lumière. La bougie pouvait se présenter à nu sur un bougeoir ou à l'intérieur d'une lanterne dont les parois vitrées protégeaient la flamme du vent risquant de l'éteindre, tout en évitant la diffusion de flammèches ou d'étincelles avec risque d'incendie. Vint ensuite la lampe à huile perfectionnée par Antoine Quinquet en 1789. Et le QUINQUET va devenir un nom commun désignant un type de lampe d'éclairage.

Une version rustique de la lampe à huile était la VEILLEUSE A HUILE. Composée d'un récipient, souvent un verre à boire, rempli d'eau au 3/4, surmonté d'une épaisseur d'huile d'1 cm. environ sur laquelle flottait un segment de bouchon en liège traversé en son centre par une mèche puisant l'huile servant de combustible pour alimenter la flamme. Cette veilleuse, appelée aussi "copion" en Lorraine, produisait un faible éclairage. Pendant la 2° Guerre mondiale, en l'absence de fourniture du courant électrique, ce moyen d'éclairage est revenu au goût du jour par nécessité, pour "aider à voir clair" en cette période de restriction.

La LAMPE A PETROLE a dominé avec majesté les autres moyens d'éclairage domestique. Composée d'un réservoir en verre ou en métal surmontant un pied métallique souvent ouvragé lui assurant une bonne assise sur la table qu'elle devait éclairer, la lampe à pétrole était équipée d'une mèche réglable par une molette. La mèche permettait la montée du combustible, le pétrole lampant, vers un bec où la flamme était protégée par un tube en verre, souvent en cristal de Bohème, appelé couramment "le verre de lampe". On pouvait l'équiper d'un abat-jour décoré dont l'armature était pincée sur le tube en verre. Suivant leurs grosseurs, donc leur pouvoir éclairant, les becs brûleurs des lampes à pétrole étaient mesurés en lignes, variant de 10 à 35 lignes. Les verres de lampes devaient s'adapter en conséquence.

La lumière diffusée par la lampe à pétrole était douce, non agressive, reposante et l'odeur dégagée par la combustion du pétrole n'était pas désagréable, faisant dire au visiteur: "Ca sent bon la lampe chez vous!"

Une version plus élaborée, très recherchée de nos jours par les amateurs d'antiquités, était la suspension. Accrochée au plafond, au centre de la pièce à éclairer, la lampe à pétrole, coiffée d'un demi-globe en verre souvent de couleur verte, ouvert à sa partie supérieure, cette suspension était réglable en hauteur grâce à un contrepoids. Ainsi présentée, la lampe à pétrole trônait à la place d'honneur dans la belle chambre: le poêle!  Cette installation a souvent été convertie du pétrole à l'électricité en conservant notamment le réservoir qui pouvait être en porcelaine de Lunéville.

Autre moyen d'éclairage, la LAMPE PIGEON réputée inexplosible, équipée elle d'un verre sphérique, sorte de globe avec 2 ouvertures. Datée de 1880, elle utilisait l'essence minérale comme combustible. Pour s'éclairer à l'extérieur, il y avait la LAMPE-TEMPÊTE que l'on peut voir encore de nos jours, mais de plus en plus rarement, sur certains chantiers.

Le gros danger de tous ces moyens d'éclairage était les risques d'incendies. Dans nos villages, il valait mieux faire les travaux des écuries quand il faisait jour car cela ne nécessitait pas de lumière artificielle. Pourtant, à la saison d'hiver, la traite des vaches indispensable ne pouvait s'effectuer dans l'obscurité. Que de précautions "pour voir clair" sans renverser la lanterne et mettre le feu à la maison! Surtout que la paille, le foin, sans compter autrefois les toits de chaumes, heureusement remplacés par des toitures en tuiles, constituaient autant d'éléments inflammables dans les fermes.

Que la lumière soit, et la lumière fut... (genèse)

Neuf Moulin 1916

L'éclairage électrique remonte au XIX° siècle. Touchant d'abord les grandes villes, il faut attendre le début du XX° siècle pour en faire bénéficier nos villages de campagne. C'est à la fois l'invention de la dynamo en 1872 par Gramme et la mise au point de la lampe à filament de carbone par Thomas Edison en 1879 qui permettra la diffusion de la fée électricité.

Dans les villages de la vallée de la Vezouze, l'électricité arrive !

Depuis de longues années, sous l'influence de moines ingénieux de la région, on savait utiliser la force hydraulique. L'eau de la Vezouze avait permis de faire tourner les roues à aubes entraînant des moulins à grain depuis Blamont jusque dans la région de Lunéville. Ainsi, à Bénaménil, un moulin à grain (situé au Neuf-Moulin)[1] est converti en scierie par Monsieur Bernard, industriel, le 14 Septembre 1912. Faisant preuve d'initiative, il s'oriente aussi vers la production d'électricité par la force hydraulique de son moulin, entraînant une génératrice de courant électrique. Il alimente ainsi les villages de Bénaménil, Domjevin, Fréménil et Manonviller.

Une opération identique a lieu à Marainviller par Monsieur Valentin qui transforme un moulin à grain en usine électrique. C'est la fondation de "La Vezouze électrique" de Marainviller. En janvier 1922, "La Vezouze électrique" de Monsieur Valentin reprend la desserte assurée précédemment par la centrale hydroélectrique du Neuf-Moulin de Monsieur Bernard. En 1923, le syndicat pour l'électrification de communes de la Vezouze fait alimenter le village d'Herbéviller qui sera en charge, en 1924, de la Compagnie Lorraine d'Electricité de Nancy. A cette époque, toute la basse vallée de la Vezouze est alimentée en courant électrique. C'est donc après la 1ére guerre mondiale, à la période de la reconstruction de nos villages que l'équipement électrique est intensifié.

Légende de la photo : 1916 : Le moulin de Bénaménil pendant la première guerre mondiale. Le site du Neuf-Moulin, déjà exploité par Mr. Bernard comme scierie, est en ruine. La paix revenue, le moulin sera reconstruit et équipé en usine hydro-électrique.

Qu'en était-il des premières réalisations ?

La desserte de la clientèle était assurée par une ligne d'alimentation extérieure aérienne composée de conducteurs en cuivre avec supports isolateurs en porcelaine et équipée de poteaux bois créosoté. A l'intérieur de chaque maison desservie, on limitait l'installation à 3 points lumineux. En général, on éclairait la cuisine, le poêle la belle chambre que l'on appellerait aujourd'hui le living, et l'écurie. Un seul point d'éclairage donc dans chacune des salles citées. Il n'y avait pas de compteur d'électricité. La facturation était forfaitaire pour 3 points lumineux. La fourniture du courant était limitée à la période de nuit. Pas d'électricité de jour!

L'éclairage public des rues, élément appréciable de sécurité, s'effectuera dans un créneau horaire limité, bien défini. Par la suite, la fourniture du courant électrique sera assurée par journée complète et progressivement les clients de l'électricité deviennent plus nombreux. Et la facturation forfaitaire aux 3 points lumineux fait place au compteur électrique pour chaque domicile desservi. Mais quel bonheur pour les heureux bénéficiaires de la fée électricité! Plus de corvée de bougie, de lampe à pétrole à remplir, plus de risque d'incendie. Et traire les vaches en hiver est devenu plus facile grâce à l'ampoule qui éclaire beaucoup mieux. La manoeuvre de l'interrupteur rotatif,le bouton électrique en porcelaine, s'accompagne d'un mot de satisfaction par comparaison à la situation antérieure.

L'arrivée de l'électricité, c'est aussi la naissance d'une profession nouvelle: LES ELECTRICIENS! Ces artisans du progrès sont les bienvenus, bénéficiant d'une certaine aura. Ils posent les fils isolés coton sous baguettes en bois, les fils souples tressés avec les petits isolants en os, quand ce n'est pas des fils rigides sur taquets porcelaine en 2 parties. N'oublions pas les fusibles couramment appelé "les plombs" dans les boîtes tabatières en porcelaine. C'est le règne des épissures de raccord enveloppés de gutta-perca, ce ruban goudronneux qui macule les doigts, remplacé bientôt par le chatterton d'une manipulation plus confortable. Mais on n'arrête pas le progrès. Voici déjà qu'arrivent les nouveaux interrupteurs à bascule Tumbler dont le couvercle en laiton fait la fierté de la maîtresse de maison‎ qui sait faire briller les cuivres! Par la suite viendra la bakélite! Les ampoules électriques initiales sont à filament de charbon. On reconnait bien l'anneau du fil de carbone dans son ampoule de verre à bout pointu. Fragiles, il est recommandé de ne pas trop secouer ces points lumineux qui, pour la plupart, sortent des usines Fabius Hanrion de Pagny-sur-Moselle. Le courant fourni par la Vezouze Electrique, continu 110 volts, subissait souvent des baisses de tension faisant dire aux initiés: "ça tire trop sur la ligne en ce moment".

En ce temps-là, la vie agricole était marquée par la présence du cheval, véritable moteur de chaque exploitation.Il est remplacé aujourd'hui par le tracteur et les engins automoteurs pour les travaux des champs à l'extérieur. A l'intérieur de la ferme, c'est encore lui, le cheval, qui faisait marcher le manège actionnant la batteuse, le tarare! Aujourd'hui, le moteur électrique assure avec force et souplesse les fonctions motrices dévolues antérieurement au cheval! Et c'est le moteur électrique qui a amené les fournisseurs d'électricité comme la "Vezouze Electrique" à assurer leur service le jour comme la nuit. En même temps que le moteur électrique arrive dans le monde rural, la fermière convoite le fer à repasser électrique qui la soulage de la chauffe des lourds fers en fonte sur le feu, voire de l'antique fer à braises!! Et donc, en plus des points lumineux, les électriciens installent maintenant des prises de courant. La venue de l'électricité, c'est une véritable révolution dans la vie de nos villages.

Après la 2° guerre mondiale, les installations sont fortement endommagées: les lignes de distribution sont à remplacer, les transformateurs sont à bout de souffle. Devant l'ampleur du travail à réaliser, la "Vezouze Electrique" de Monsieur Valentin céde son réseau et ses abonnés à la Compagnie Lorraine d'Electricité de Nancy en Mai 1945. Le 8 Avril 1946, c'est la création de l'EDF, Electricité de France, qui, par une loi de nationalisation, reprend la majorité des sociétés de production d'électricité en France. EDF, par un travail important et continu, assure la rationalisation et l'unification de toutes les installations. C'est une lourde tâche dont elle s'acquitte avec compétence au fil du temps.

Avec EDF, le courant fourni est alternatif 220 volts, régularisé sans baisse de tension.

Réflexion.

Le progrès s'accompagne de consommation d'énergies sous toutes formes en constante augmentation. A une époque où la consommation en électricité s'accroît chaque jour, à tel point que l'on recommande maintenant une certaine discipline économique, les sites qui ont connu les moulins à roues à aubes pourraient faire l'objet d'une reconversion en microcentrales de type bulbe qui n'exige pas une hauteur de chute importante (différence de niveau entre le bief amont et le bief aval). La production de ces microcentrales s'ajouterait aux productions importantes des grosses centrales, qu'elles soient nucléaires, hydrauliques ou thermiques. Ainsi, l'eau force motrice, qui avait animé les moulins à grain, les moulins à huile ou les scieries, pourrait de nouveau produire du courant électrique à peu de frais pour un investissement raisonnable dans une énergie renouvelable. Les infrastructures des installations s'inscriraient facilement dans l'environnement, sans le déparer, donnant une nouvelle vie aux anciens moulins. Est-ce une utopie?

Des réalisations de microcentrales type bulbe fonctionnent déjà en France.

D'autre part, la récente démarche de la Communauté de Communes de la Vezouze en vue de l'implantation possible d'un parc éolien à Igney et à Repaix (réunion d'information du 10 Septembre 2003 et visite d'un site éolien au Luxembourg du 21 Septembre 2003) apporte la preuve que les petites productions de courant ne sont pas à négliger. L'Est Républicain du mardi 18 Novembre 2003 nous informe de la présentation d'un "Atlas régional du potentiel éolien en Lorraine par l'AREL" (Agence Régionale de l'Environnement en Lorraine).

Dans le même esprit de la démarche qui est faite par l'AREL sur les sites éoliens potentiels en Lorraine concrétisée par un atlas, il serait souhaitable que l'on puisse orienter une réflexion similaire sur les sites hydrauliques par un recensement des moulins à roues à aubes qui ont déjà existé dans notre région. Cette étude spécifique pourrait s'avérer pleine d'enseignements. Alors pourquoi pas une résurrection des petites centrales au fil de l'eau? La réponse est à venir!...  

Conclusion.

Cette évocation de l'arrivée de l'électricité va rappeler bien des souvenirs à ceux qui ont vécu cette période, mais il est à espérer que cette révolution de la Fée Electicité soit mieux connue des jeunes générations et permette de mieux mesurer le chemin parcouru. Pionniers de l'électrification des villages de la vallée de la Vezouze, messieurs Bernard et Valentin mériteraient bien qu'on leur rende hommage pour leur esprit d'entreprise. De ce début du XX° siécle, retenons le moment d'émotion de nos anciens manoeuvrant pour la première fois le "bouton éectrique"... Et la lumière fut!

Jean SPAITE

Note :

[1] Le Neuf-Moulin est maintenant le site d'une auberge réputée où l'on peut voir la chute d'eau qui alimentait la roue à aubes du moulin.

Ce texte a été publié dans " La Revue Lorraine Populaire " N° 176_ Février 2004.

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