Le cirque au village (Chronique des années 60)

C'était pendant l'été 1960.


Le soleil était chaud. Comme il faisait bon profiter de la période des vacances.


Soudain "ils" étaient arrivés à grand renfort de trompette et de "cornet haut-parleur", parcourant les rues habitées de notre village.
En conséquence, à cette époque, la "parade du cirque" s'était limitée à la Grande Rue et à la Rue de la Banvoire, qui n'avait pas encore le nom de baptême de Rue de la Prairie.
Les baladins étaient jeunes : lui 20 ans peut-être, elle 18 ou 19 ans !

Et leur annonce était convaincante : Ils étaient "un Grand Cirque" qui avait fait "plus de 100 Km" pour venir se produire dans notre commune avec leur "ménagerie" d'animaux savants, "des tours de magie qui vous surprendront, de la musique, de la bonne humeur..." Tout un programme inattendu dans cette période d'été qui plombait quelque peu la vie du village. Une précision de la part des gens du cirque : le prix d'entrée était modique, quelques francs (je ne me souviens plus trés bien combien) mais vous pouvez payer en nature : des oeufs, des carottes, des pommes de terre feront l'affaire! Rendez-vous prés de l'église où le cirque va être monté, à 17 heures précises, venez nombreux! Qu'on se le dise !! Ah, j'oubliais : vous pouvez également apporter votre siège pour vous asseoir : pliant, banc... Enfin, vous êtes prévenus : ceux qui ne prennent rien resteront debout. Déjà, les enfants curieux, vous pensez bien, étaient groupés auprès de la roulotte, oh bien modeste, puisqu'il s'agissait d'une petite remorque chargée d'un tas d'affaires, équipée d'un brancard où était attelée une chèvre !! Une chèvre savante avait précisé le "directeur" du cirque au jeune public !! Et il ne fallait pas perdre de temps car la représentation avait bien lieu dans 1 heure !.. De la remorque, on avait extrait 2 cages. La première renfermait un lapin blanc avec son collier. Au bout d'une ficelle attachée à un piquet, il s'est mis tout de suite au travail avant la séance: pour lui, l'heure du repas était primordiale en dévoilant un bel appétit pour l'herbe verte qui ne demandait qu'à être tondue !!  La  deuxième cage était occupée par un chat. Un chat savant avait précisé le "directeur" du cirque aux enfants ébahis!


Le chat savant, comme tous les chats ordinaires, montrait une indifférence totale aux futurs spectateurs : il aimait dormir et qu'on lui fiche la paix !!


Les patrons du cirque connaissaient leur affaire: il fallait monter le "chapiteau", mais il n'avait pas de toit comme les autres cirques qu'ils soient AMAR ou PINDER. Celui à qui nous avions affaire limitait son bâti aux murs de toile (en fait, d'anciens draps de lit), posés sur plusieurs grandes rames, tiges de noisetier ou de saule. Le tout bien haubané avec de la ficelle pour assurer la verticalité des "murs". Il n'avait pas de toit ? Ce n'était pas un problème, le  temps était au beau et on ne craignait pas la pluie ! Certes, les murs n'étaient pas épais mais les non-spectateurs, s'ils pouvaient entendre le baratin des "gens du cirque" ne verraient pas eux, le merveilleux spectacle à venir ! Ah, mais!!.. 

En deux temps, trois mouvements, "le grand cirque" était prêt à recevoir son public.  Et à 17 heures bien précises, la foule (n'exagerons pas: une quinzaine de personnes, y compris les enfants) a été admise au bord de la piste ! Le directeur et la directrice du cirque étaient à la porte d'entrée : on soulevait un pan du drap pour admettre les spectateurs qui payaient leur entrée. Les oeufs et les carottes servant de monnaie étaient mis à l'abri dans un panier. Le public jeune s'asseyait par terre, les parents restaient debouts ou assis sur un pliant.


Et le spectacle pouvait commencer en musique. Le directeur savait jouer de la trompette, de l'harmonica, du tambour. Sa fidèle collaboratrice savait chanter, jouer de la flute (en fait, c'était un pipeau!) et du tambourin. L'homme avait de réels talents de ventriloque qui lui permettait de faire parler la chèvre savante, le lapin qui savait sauter pour manger un bout de carotte. Quant au chat savant qui pouvait parler il ne montrait pas son agilité habituelle : il avait fait 100 Km pour venir vous voir. Vous aussi à sa place, vous seriez fatigué ; pas vrai ? Et la jeunesse en choeur de répondre, OUI !!


Transformé en magicien , puis en jongleur, le patron du cirque savait conquérir son jeune public, le faisant même participer au spectacle avec le jeu des devinettes, puis du radio-crochet. Quelle émulation entre les garçons et les filles. Vraiment, ce jour-là,on n'a pas vu le temps passer pendant cette heure de bonheur.


Et comme tout a une fin, il fallut se quitter "Car on a encore 100 Km à faire pour rejoindre un beau village comme le vôtre où nous sommes attendus!"


Le démontage du cirque s'était fait sans problème; certains spectateurs adultes aidant bénévolement et avec le sourire ces joyeux baladins qui avaient fait vivre le village endormi. Les "murs du cirque" bien pliés avaient été rangés dans "la roulotte" avec les cages du chat savant et du lapin agile. La "biquette savante et qui parle" s'était vue attelée dans les brancards de la roulotte et ils sont partis vers l'autre village en clamant sur leur parcours "au revoir, au revoir!!"...
Lui était devant, tirant la roulotte au coté de la chèvre, Elle était derrière,  poussant le convoi!


Ils se sont arrêtés plus loin, avant que la nuit ne tombe. Ils ont dressés la tente pour s'abriter aussi. Ils ont mangés leur frugal repas, savourant entre-eux les moments du spectacle. Passionnés et heureux par leur métier de comédiens qui apporte la joie sur leur passage.
 
On n'a plus revu les baladins, ils nous avaient pourtant dit "Au revoir"!!


Peut-être sont-ils devenus, au fil des ans, il y a quand même plus d'un demi-siècle déjà, les patrons d'un grand cirque: AMAR, PINDER...peut-être ?
Grisés par leur succès, ils ont oubliés notre petit village...
Nous, nous ne les avons pas oubliés!!

Jean SPAITE   Janvier 2010

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